Diversifier : ça presse pour les huiles végétales

Le 12/07/2022 à 19:07 par La rédaction


La demande croissante d'origine France, et notamment en huiles, produits d'épicerie, plats préparés, aliments du bétail, produits carnés et même cosmétiques offre un large potentiel de débouchés aux oléagineux. Interbio Nouvelle-Aquitaine et Val Bio Ouest s'unissent pour stimuler ces productions.

Les oléagineux bio ont de l'avenir dans les territoires, et notamment en Nouvelle-Aquitaine. Le 1er Forum Val Bio Ouest, organisé fin 2021 sur ce sujet à St Jean d'Angelys, a exposé les atouts et les freins à déployer ces cultures en France, en filières courtes et longues. « Mais ce, à la condition de travailler les itinéraires techniques des différentes espèces, de maîtriser la qualité des graines, de structurer les filières et de ne semer qu'avec l'assurance de débouchés », martèle les organisateurs (1). Or ce sujet est devenu encore plus sensible aujourd'hui, notamment pour le tournesol et le colza : la guerre en Ukraine et les difficultés autour de la mer Noire pour l'approvisionnement aussi en origine roumaine rebattent les cartes. Le marché se tend, et les cours s'enflamment sous la pression de ceux du conventionnel. Si la dépendance aux importations d'oléagineux bio ­ graines, tourteaux ou huiles ­ s'est un peu estompée ces dernières années avec la montée en puissance de l'origine France et la création d'unités de trituration dans l'Hexagone, les flux européens persistent. Selon l'Agence Bio, par exemple, les importations de graines de colza ukrainien se montaient à plus de 7 000 tonnes en 2020, soit une hausse de 70 % vs l'année précédente (2) (lire aussi p. 6). Ce, sans compter les volumes venus des pays de l'Est de l'Union européenne dont la Hongrie.

Atouts d'un aliment santé

Hormis pour le soja, l'huile alimentaire reste le premier débouché des oléagineux bio, en lien avec une production de tourteaux en forte hausse, notamment en tournesol, pour la nutrition animale. « L'huile végétale bio, à base de graines pressées à froid ou de fruits à coque, est considérée comme un aliment santé, rappelle Martine Cavaillé, d'Interbio Nouvelle-Aquitaine en introduction du colloque. Mais d'autres ­ lin, caméline, chanvre et noix ­ sont en plein essor pour leurs qualités nutritionnelles supérieures. » La filière se renforce en filières longues via des huiliers historiques qui déclinent leurs gammes et des huiliers conventionnels qui l'élargissent. De nouvelles unités de trituration lancées par des coopératives ou des entreprises privées contribuent à cet essor. « Et en parallèle, un nombre croissant de producteurs créent des ateliers pour vendre en circuits courts sur des marchés locaux et magasins de proximité », souligne Martine Cavaillé. Ces unités à la ferme transforment surtout les tournesols linoléiques ­ pour l'assaisonnement ­ et oléiques ­ pour la cuisson ­, le colza, et dans une moindre mesure le lin, le chanvre et la cameline. En bio, pour le pressage, seuls les procédés mécaniques sont autorisés, et le process à froid, inférieur à 70 °C, domine. Réalisé dans de bonnes conditions, son intérêt est de conserver les propriétés nutritionnelles : ces huiles vierges, riches en acides gras essentiels, et notamment, les mono-insaturés (oméga 9) et les polyinsaturés, avec un taux d'oméga 3 élevé, et un bon rapport oméga 3 et 6, ainsi que d'autres propriétés comme la vitamine E, sont très recherchées des consommateurs bio avertis (3).

De l'huile sur le feu

« Ce marché bio offre de nouvelles opportunités aux producteurs de grandes cultures », souligne Martine Cavaillé. Les graines de tournesol et de colza sont de plus en plus demandées en origine France, même pour l'industrie de la transformation. Et notamment pour remplacer l'huile de palme dans les recettes bio. Le contexte actuel enfonce le clou. « Jusqu'à récemment, la production française en tournesol et colza semblait couvrir la demande en origine nationale, estime-t-elle. Mais il faut se préparer à répondre aux marchés de demain. De plus, dans les rotations, en diversification, ces espèces présentent des avantages agronomiques. » Aujourd'hui, le tournesol arrive en tête ­ sa production a doublé en cinq ans ­ suivi du soja, puis du colza, du lin, du chanvre et de la cameline. En Nouvelle-Aquitaine, les oléagineux bio occupent 31 544 hectares en 2020, avec une forte progression de 43 % en un an. À noter cependant un recul récent des conversions, dû à une tendance générale.

Diversifier et transformer

Installée à Thézac, en Charente Maritime, la productrice Pascale Croc témoigne (3) : elle cultive et transforme en huiles colza, cameline, tournesol oléique et linoléique et chanvre, vendues en circuits courts. Et les tourteaux sont épandus sur ses terres, notamment ses vignes, « faute d'avoir encore eu le temps de mettre en place des échanges avec un éleveur ». En bio depuis 2016 sur 120 ha, dont 94 ha de grandes cultures diversifiées, La ferme de l'Orée base sa rotation sur une douzaine d'espèces. Si les céréales sont vendues à la Corab ­ la coopérative bio de St Jean d'Angelys ­, les oléagineux sont transformés sur place depuis 2018. « Nous avons créé un atelier pour presser les graines de façon la plus ergonomique possible, explique Pascale Croc. Et nous améliorons le process. » Le séchage, la congélation si besoin, et le triage sont externalisés dans une Cuma vendéenne. Sur la ferme, le stockage est à 6 °C, et le pressage s'effectue à froid avec une presse Ecolea, fabriquée près de St-Etienne dans la Loire. « La pression est lente, prenant quatre à cinq jours pour passer un big bag de 600 kilos à une tonne selon le type de graine, et le temps de décantation est d'une semaine minimum. » Puis la filtration est la plus fine possible, faite avec un papier, « le tout protégé d'un film plastique pour une qualité sanitaire optimale ». À noter que la presse Ecolea 25.2 polyvalente affiche un débit de 15 à 25 kg par heure selon le produit trituré. Proposée par son fabricant à 7 700 euros HT, elle peut être aussi complétée d'accessoires dont un filtre à plaque, pour les huiles les plus fragiles, comme la caméline, le lin ou le chanvre qui s'oxydent plus vite.

« Des huiles pur jus de graines »

Pour Pascale Croc, le process doit être de qualité, pour obtenir « des huiles pur jus de graines, car il faut anoblir ces huiles végétales et communiquer sur leurs vertus ». Leur ennemi numéro un étant l'oxydation, des précautions doivent être prises durant le process et la conservation. L'huile la plus demandée reste le colza, « une culture que nous avons bien réussie en 2021 », se réjouit-elle. « Pour vendre, il faut savoir aussi argumenter sur les vertus santé des huiles, et pour le tournesol, démonter l'idée reçue que les oméga 6 ne sont pas bons pour la santé, ainsi que faire connaître l'intérêt des oméga 9 pour les oléiques », insiste-t-elle. La productrice rappelle qu'installer un atelier nécessite d'avoir un marché, ou bien de le construire avec patience, « et aussi d'évaluer le temps passé à la transformation, toujours plus long que prévu ».

En filières longues, un nouvel outil Oléosyn Bio

« En filières longues, le marché de l'huile bio est européen. Il reste compliqué, et peut vite basculer. 2020 et 2021 n'ont pas été très dynamiques, rappelle Sophie Thouénon, directrice bio au sein de la nutrition animale du groupe Avril. En bio, le végétal et l'animal sont liés, et les tourteaux sont les principaux débouchés des oléagineux, notamment en soja et même en tournesol, et la demande est forte. » Pour répondre au marché français et réduire les achats extérieurs, un nouvel outil de trituration industriel ­ Oléosyn Bio ­, dédié à la bio, est lancé en juin 2020 dans les Deux-Sèvres au coeur de la zone de production de graines, « au service d'un projet de filière territoriale, avec des visions communes ». Il fédère le groupe Avril et sa marque Lesieur, ses filiales Sofiprotéol et Sanders, la coopérative Terrena et Esfin Gestion. Sa capacité de trituration est de 40 000 tonnes : 63 % de soja et 34 % de tournesol ­ soit un tiers de la production française de cet oléagineux ­, et 3 % de colza (lire Biofil 130).

Un outil déjà à saturation

Le tournesol et le colza sont en totalité d'origine française, le soja pas encore tout à fait, « mais c'est l'objectif à terme », explique Sophie Thouénon. Face à la demande de tourteaux en hausse chez les fabricants d'aliments, l'outil est déjà arrivé à saturation. « On a trois ans d'avance sur les prévisions », annoncet-elle, tout en restant prudente sur la suite. « Le temps agricole n'est pas le même que celui de la consommation, et il faut anticiper les besoins, et les cultures. Et aujourd'hui, le contexte géopolitique et sanitaire avec la grippe aviaire rend l'avenir du marché plus difficile à cerner. » L'usine Oléosyn Bio possède deux lignes de presses. L'une triture le soja, en le chauffant, pour fabriquer des tourteaux, avec un rendement de 10 % d'huile, valorisée en grande partie en nutrition animale et pour l'excédent, vendue vers le marché européen faute de consommation française. L'autre presse, polyvalente, destinée au tournesol et colza, opère une double pression : la première à froid pour obtenir une huile vierge brute avec une température de friction inférieure à 70 °C, et la seconde à chaud, pour un liquide destiné à une transformation secondaire pouvant aller jusqu'au raffinage. Les 15 000 tonnes de graines de tournesol produisent ainsi 6 000 tonnes d'huile, avec un rendement de 40 % en première pression. La colza est plus difficile à mettre en oeuvre en culture et son rendement en huile est plus bas, à 35 %. De plus, ce produit très concurrencé à l'importation, peine à se développer en France.

Des huiles origine France

Pourtant, la demande est en hausse. « Pour y répondre, Lesieur a créé une référence de tournesol bio en 2020, puis une en colza, et ensuite un Isio 4 bio, et un Coeur de tournesol fin 2022, le tout en quasi-totalité issu de graines origine France, et avec la volonté de les sourcer en filières », explique Sophie Sophie Thouénon. Pour l'Isio 4, en complément des huiles de tournesol, oléique et linoléique et du colza, seule l'huile de lin n'est pas proposée en bio, ce qui est possible par la réglementation autorisant 5 % de non bio dans les produits transformés. « Nous travaillons à la création d'une filière, l'objectif étant d'être en 100 % bio. » Autre piste de développement : combler l'absence d'outils de seconde transformation de l'huile dédiés à la bio sur le territoire français, comme la désodorisation ou le raffinage.

Des contrats et un prix d'équilibre

Pour construire cette filière « qui bouge vite », des contrats pluriannuels sont noués avec des producteurs, sur trois ou cinq ans, voire plus. « Un système de régulation de marché est mis en place, afin d'éviter les effets de vagues, déstructurants pour la filière, et répartir la valeur, détaille-t-elle. Des tunnels de prix sont négociés, avec un plancher suffisamment rémunérateur en cas de chute de cours, et des plafonds limités, en cas d'embrasement. » L'objectif est aussi de ne pas perdre les consommateurs avec des tarifs inabordables. « Il faut trouver un prix d'équilibre », conclut Sophie Thouénon en nuançant : « Toutefois, ces contrats font leur preuve dans un marché normal, mais nécessitent une revoyure dans un contexte aussi exceptionnel que celui que nous vivons depuis quelques mois avec la crise ukrainienne et qui devrait se prolonger ».

Christine Rivry-Fournier

(1) Actes et interventions en vidéo : interbionouvelleaquitaine.com et valbioouest.fr
(2) Rapport « Évaluation du marché bio en 2020 » sur agencebio.org
(3) Webinaires de Terres Univia et Terres Inovia du 26 avril 2022.
(4) Lire aussi Biofil 137.

 


L'huile alimentaire bio : un produit phare

Selon l'Agence Bio, en 2020, les Français consommeraient 60 000 tonnes d'huiles bio toutes confondues ­ olive, colza, tournesol et autres : 44 200 tonnes par les ménages pour la cuisine, friture, assaisonnement, dont 27 700 tonnes (+ 23 % en un an), achetées en GSA (circuit généraliste alimentaire) ­ d'après le panel Iri. En tête, l'huile d'olive, espagnole en majorité, pesant entre 35 et 40 % des achats, suivie du tournesol, puis du colza et des autres huiles ­ cameline, lin, sésame, etc. À ce volume s'ajouteraient les utilisations en produits agroalimentaires transformés estimées à 15 150 tonnes tous circuits confondus, surtout du tournesol. Au total, l'huile bio atteindrait 3,5 % du marché total de l'huile. La tendance est en forte croissance : en GMS, selon l'Iri, en valeur, les ventes auraient bondi de 13 % en 2019, puis de 24 % en 2020. La part de marché de l'huile bio atteindrait 18 % de son segment, avec 40 % des ventes pour les MDD (marques distributeurs).

 

Solibio : à la recherche de graines qui n'intéressent pas les huiliers

À Solignac en Haute-Vienne, Solibio fabrique des cosmétiques et des produits d'entretien. Ainsi que du savon noir contre ravageurs et maladies des plantes. « Les graines que nous recherchons n'intéressent pas les huiliers, explique JeanLoup Bernard, dirigeant-fondateur de l'entreprise, chimiste de formation. Plus elles sont acides ­ jusqu'à 8 % ­, donc impropres à la consommation alimentaire, meilleures elles sont pour faire de la chimie. » Même les graines mélangées, issues d'associations sont acceptées. « On utilise le tournesol, de préférence l'oléique plus stable, car le linoléique est plus fragile, s'oxyde plus. » La moutarde sauvage aussi est recherchée, et « on la paie au prix du colza ». L'huile est pressée à moins de 70 °C. « En bio, le process doit rester très simple, on presse, on décante, et on filtre. Mais attention à l'hygiène et à l'oxydation. »