Du local… sans repli sur soi

Le 18/11/2019 à 12:37 par La rédaction


[Édito du Biofil n°126 - nov.-dec. 2019]

(crédit : Terral v.)

La filière bio entre dans une nouvelle ère, celle où les anciens et les nouveaux vont devoir se tenir la main pour traverser ensemble cette zone de turbulences, vers un nouveau monde plus écologique. Et gare à ceux qui voudront y aller tout seul, sans l’expérience, la connaissance des courants, ou la bienveillance des autres… Le secteur est encore fragile.
Au fil des salons de la rentrée, Space, Tech&Bio, Terr’Eau Bio, Sommet de l’Élevage, Natexpo…, même euphorie teintée d’inquiétudes, plus ou moins dissimulées. Ce numéro en fait largement l’écho. Face à une concurrence stimulante mais déstabilisante, comment se démarquer, comment être plus bio que bio, sans pour autant plomber ses marges, et proposer un prix rémunérateur, acceptable pour les consommateurs, écocitoyens certes, mais limités par leur pouvoir d’achat ?
La croissance s’emballe, le marché français dépassera certainement les 11 milliards d’euros fin 2019 (9,7 milliards d’euros en 2018, en hausse de 15 % vs 2017). Toute la chaîne est concernée : les fournisseurs se multiplient, en alimentation animale, matériels, biocontrôle, fertilisants…, comme l’illustrent nos retours de salons ; l’élan des conversions se poursuit, même si certaines filières, comme celles du lait de vache, des œufs, des pommes vivent une période sensible de palier ; la demande très soutenue des transformateurs – quelle entreprise agroalimentaire n’a pas sa marque bio maintenant ? – dope la valeur des matières premières surtout d’origine française (jusqu’à quand ? Là est la question) ; et les distributeurs sont tous sur les dents… les magasins spécialisés historiques se montrant néanmoins inquiets face à l’offensive des GMS, accusant certains de dumping.
« Il leur faut se réinventer, miser sur le local, le lien avec les producteurs-trices, les territoires, les pratiques écologiques vertueuses », conseillent les experts. Mais les mastodontes de l’agroalimentaire, issus du monde conventionnel, n’ont pas tous la même vision. Dans ce contexte, plus que jamais, structurer les filières bio est un impératif pour les agriculteurs et agricultrices, même s’il est alléchant d’aller vers le plus offrant : il s’agit de consolider l’existant pour continuer à grandir, maintenir des prix justes, et éviter les crises par manque de connaissance réelle du marché. Certaines coopératives, historiques en bio et très investies l’ont bien compris. Les nouveaux entrants, coops ou électrons libres, doivent apprendre en urgence les règles du jeu, et ne pas casser l’existant, qui a mis tant de temps à émerger.
Surtout, valorisée comme jamais, la tendance au local, au territoire ne doit pas signifier repli sur soi ou chacun pour soi. Construire l’avenir en bio, c’est travailler ensemble. Quelles espèces implanter pour coller à la demande ? Quels itinéraires culturaux, intrants ou type d’élevage adopter pour offrir une analyse du cycle de vie optimale ? Quelles mesures sociales et écologiques appliquer et valoriser pour se démarquer, et répondre aux attentes sociétales de plus en plus pressantes ? La bio se segmente, se décline, se peaufine, se ramifie, devient plus exigeante et innove… chacun cherchant à se frayer un avenir dans ce monde agricole et alimentaire en pleine révolution.
Christine Rivry-Fournier