Le renouveau de la traction animale

Le 05/09/2010 à 11:30 par La Rédaction


Preuve que technicité et modernité riment aussi avec animaux de trait, plus de 200 participants ont suivi les essais de traction animale, lors de la journée spéciale organisée dans l’Aveyron à St-Affrique fin mai par le Centre de Formation Professionnelle de la Cazotte et la Maison familiale rurale de Brens, basée dans le Tarn. Un succès sans précédent.

Certains participants venaient de loin car cette manifestation s’intégrait à un projet européen, réunissant des établissements espagnols, grecs et hongrois. Cet échange, intitulé Biotacc, a fait émerger un intérêt inattendu pour la traction animale de la part d’enseignants européens. Celui-ci s’explique par l’expansion du maraîchage bio dans tous ces pays. Exemple : dans le cadre de cet échange, l’école agricole de Manresa, en Catalogne, a lancé l’an dernier un programme pour regrouper les connaissances et les pratiques encore existantes localement afin d’envisager des formations sur le thème. Au grand étonnement des enseignants, il est apparu que des agriculteurs catalans utilisaient toujours la traction animale et pouvaient servir de référents.

Une démarche rentable

À l’heure des motorisations les plus élaborées, quelles sont les motivations des adeptes de la traction animale ? Il faut savoir que, même s’ils sont rares, certains ne l’ont jamais abandonnée. C’est le cas de Jean-Pierre Garrouste. Sur sa petite ferme de 13 hectares en polyculture-élevage dans le Tarn-et-Garonne, ce paysan de 70 ans, à la retraite depuis une dizaine d’années, continue d’utiliser ses bœufs. S’il a acheté un tracteur en 1985, pour les céréales, il a continué à labourer de petites surfaces “pour garder la main et au cas où…”. En maraîchage, le regain de la traction animale n’a en revanche rien de nostalgique : il s’agit de “faire mieux” qu’un motoculteur ou un tracteur. D’ailleurs, Sébastien Zubrzychi, son voisin et cadet d’une quarantaine d’années, a lui aussi choisi de travailler sa terre avec des bovins. Partageant un étal au marché avec Jean-Pierre Garrouste, il en profite pour s’abreuver de l’expérience et des conseils de son aîné. S’il s’avoue “rassuré d’avoir une vache à l’étable en cas de pénurie”, il est aussi certain d’y trouver son compte financièrement : “un veau acheté 300 euros, ou né dans mon étable, pourra être revendu 4 000 euros dans 10 ans. Alors qu’un tracteur se dévalue et qu’il faut payer des charges, des assurances, l’entretien, le gasoil. Toutes ces dépenses impliquent du temps de travail pour pouvoir les couvrir. Moi, je préfère ne pas avoir à gâcher du temps pour payer un tracteur.

Des motivations agronomiques

Les avantages agronomiques de la traction animale sont mis en avant par ceux qui la pratiquent. La viticulture et le maraîchage sont les deux productions les plus intéressées par cette technique plus douce pour les sols. “J’ai réfléchi à la pénibilité de mon travail, et aux améliorations que je veux obtenir. C’est ainsi que mon cheval a pris sa place, explique Jérôme Keller, installé dans le Limousin en maraîchage biodynamique, producteur de légumes et de semences bio. Grâce à la traction animale, j’ai résolu des problèmes de tassement de mon sol et de prolifération d’adventices.” Jo Ballade, maraîcher et président de l’association Prommata (lire en encadré), vante la précision de cette méthode : il trouve bien utile de pouvoir passer entre deux rangs de basilic espacés de 45 cm. Pratiquant la traction animale depuis 35 ans, Bernard Dangeard, qui travaille actuellement pour un jardin de Cocagne dans la Drôme, insiste sur le besoin de suivi des stagiaires car, une fois formés, ceux-ci manquent de référents sur leurs fermes. Ce passionné est sollicité quotidiennement par des jeunes, au-delà de ses possibilités. Selon lui, si on compare ce que mange un cheval avec ce qu’il faut pour produire des agrocarburants, c’est le cheval le plus économe, bien sûr !

Un besoin de formation

Un autre adepte, Samuel Patoizeau, a plutôt misé sur une filière parallèle en prestation de service, pour le tourisme ou les mariages, à défaut de l’utiliser vraiment sur sa ferme. Pour lui, “les animaux dressés coûtent trop cher, et il manque encore de formations adéquates. C’est toute une filière qui doit être créée.” “Finalement, quand on raisonne de manière globale, en bio, la question de la traction animale vient assez naturellement, comme les circuits courts ou l’écoconstruction”, résume Gilles Parcoret, formateur en agriculture biologique et traction animale à la Maison Rurale de Brens. Il ne s’agit pas de l’imposer, ni de l’opposer à d’autres types d’agriculture, mais de répondre à une nouvelle demande qui se répand chez les agriculteurs.” D’autant plus que la traction animale moderne est beaucoup plus malléable qu’avant.

Face au succès de la traction animale et au manque de formation en agriculture, Thierry Tricou, directeur de l’établissement saint-affricain, planche sur la création de la première formation qualifiante française, associant traction animale et maraîchage bio. Depuis 5 ans déjà, son centre propose une sensibilisation à cette technique en duo avec la Maison familiale de Brens. Les deux tiers de la quarantaine d’élèves formés travaillent aujourd’hui en lien avec les animaux de trait, qu’ils soient installés sur une exploitation, en phase de démarrage, salariés ou en prestation de service. Finalement, le XXIe siècle ne prend pas forcément la tournure qu’on pouvait imaginer.

Marie Massenet

Info Formations : Gilles Parcoret, tél. 05 63 57 05 15.

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Prommata : une association de référence

L’association Prommata (Promotion du machinisme moderne à traction animale) regroupe 350 adhérents. Elle vise à soutenir les personnes adeptes de cette technique. Basée à Rimont, dans l’Ariège, elle a bénéficié des brevets de Jean Nolle, un ingénieur agronome spécialiste de la traction animale dans les pays du Tiers-Monde. Grâce à son travail, l’association continue d’améliorer les porte-outils et outils existants pour les adapter aux besoins des agriculteurs et des animaux. Grâce à une approche participative, les agriculteurs partenaires travaillent à améliorer le matériel, qui ne cesse d’évoluer.

www.prommata.org, tél. 05 61 96 36 60.

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Les Amish à la pointe de la technique

Désormais disponible en France, du matériel conçu par des communautés Amish est importé des États-Unis. Ces religieux, qui vivent comme au XVIe siècle, n’ont jamais abandonné la traction animale, attelant parfois jusqu’à une dizaine de bêtes. Leur logique répond à une règle principale : l’autonomie. Grâce à eux, de nombreux appareils sont encore fabriqués, et une demande émerge, venant des collectivités ou prestataires de services qui mettent en place des activités écologiques de débardage, ramassage des ordures, tri sélectif, balayage, voire transports scolaires… La démarche de Prommata est différente. Il ne s’agit pas d’éviter à tout prix le tracteur mais de concevoir des outils bon marché, si possible en auto-construction.

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Le maraîchage sur billon

La traction animale facilite la culture sur billon. De quoi s’agit-il ? Les billons sont des buttes de 20 et 30 cm de haut. Le sol est préparé comme des vagues, de manière à obtenir une terre de jardin meuble et légère. Bien aérée, celle-ci décompose mieux la matière organique et garde l’eau. L’exposition sous plusieurs angles favorise le réchauffement plus rapide de la terre au soleil. Le développement racinaire et la gestion des adventices sont facilités.

Durant l’hiver, la prairie est cassée sur une faible profondeur (10 cm) avec des passages espacés d’une semaine pour que l’herbe se décompose. Le sol est gratté superficiellement sans le retourner afin de ne pas mélanger les strates. De l’état d’enherbement dépend le nombre de faux semis. Les billons sont formés puis décalés, pour travailler l’ensemble du sol et enfouir le compost ou les tubercules. Une bonne expérience de traction animale permet de semer deux buttes à la fois. Ensuite, en fonction des cultures, plusieurs passages se succèdent pour ameublir la terre (travail de sous-solage qui préserve l’humidité et déniche les adventices au stade du germe) et butter les billons à l’aide de disques. Cette pratique est plus facile à démarrer à deux, pour gérer l’outil d’un côté et le cheval de l’autre, avant d’apprendre à travailler seul.

D’après Jérôme Keller, Traction animale et culture sur butte.

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Les atouts de la traction animale

À l’aide de chevaux, bœufs, ânes ou mules, cette technique offre de nombreux atouts :

- réduire ou supprimer les problèmes du tassement du sol et des semelles de labour

- travailler dans des passages étroits entre les rangs, dans les serres, ou décavaillonnage très précis au pied des vignes

- limiter le recours à l’emprunt et gagner en autonomie

- améliorer les conditions de travail : éviter les torsions de la tête et du dos subies sur un tracteur lorsque l’outil est derrière ou sur le côté ainsi que les à-coups dans la colonne vertébrale derrière un motoculteur dans les serres ou sur des terrains difficiles.

- produire du fumier à composter,

- protéger le patrimoine génétique des chevaux de traits

- valoriser les territoires à fort handicap naturel

- économiser des énergies fossiles et ne pas polluer

De plus, l’animal de trait ne patine pas, démarre quand il neige et ne tombe pas en panne s’il est bien traité. Il gagne même de la valeur au fil du temps et se reproduit (presque) tout seul.

Bien sûr, tout n’est pas rose : il faut être formé, savoir utiliser le matériel adéquat, posséder un cheval dressé, avoir l’espace pour le nourrir… et surtout prendre le temps de s’en occuper ! Mais la première condition pour se lancer est d’avoir envie de travailler avec un animal.

Juillet-Août 2010 n°71