« Je n’ai plus de voix face à tous ces reculs et la crise de la bio, témoigne le 17 juin lors du salon Terr’eau Bio organisé pour la première fois dans la Somme, Sophie Tabary, présidente de Bio Hauts-de-France et éleveuse-maraîchère bio dans l’Aisne. On prouve chaque jour que nos règles de production nous permettent d’avancer, d’améliorer nos techniques, d’être innovants en respectant l’environnement, mais on est tous démoralisés par ce qui se passe. » Dans cette région agricole intensive où la bio a réussi à s’implanter au fil des ans pour atteindre près de 6 % des fermes et de 3 % des surfaces, tous les espoirs sont mis dans la reprise de la consommation, et le soutien de l’État. « On attend des annonces afin de bénéficier des reliquats de l’enveloppe des conversions, qui doivent revenir à cette filière, insiste Marie-Sophie Lesne, vice-présidente de la région Hauts-de-France. Ce ne serait que justice, indispensable pour passer l’orage et repartir. » ֽ

Sécuriser les fermes
La 7e édition de Terr’eau Bio, salon agricole régional bio tenu pour la première fois dans Somme, à Bayonvillers, rassemble toutes les forces vives du territoire, « pour alerter, trouver des solutions et sécuriser les fermes », rappelle Simon Hallez, co-directeur de Bio en Hauts-de-France. 300 visiteurs, bio et conventionnels, y sont venus échanger, et chercher de nouvelles pistes pour faire progresser la transition écologique. En 2024, après plus de dix ans de croissance, les surfaces bio sont en décrue, notamment en grandes cultures et légumes, pour atteindre 55 906 ha (-2,5 %), liée au repli des conversions. 1 328 fermes sont engagées en bio (-3,3 %). Depuis 2022, le nombre d’arrêts est supérieur aux conversions, mais signe positif en 2024, les surfaces en C1 augmentent par rapport à l’an dernier, soit 38 nouvelles exploitations.
Dotés de deux Plans bio régionaux successifs et structurants depuis 2017, les Hauts-de-France bénéficient d’un fort appui, qui ne se dément pas pour promouvoir la bio. « Malgré tous ces changements inattendus, brutaux et incompréhensibles, notamment de la part de l’État, nous restons confiants sur les tendances à plus long terme, et il faut aussi travailler sur la Pac, confirme Marie-Sophie Lesne. Nous apportons un soutien indéfectible à la bio, et nous travaillons d’une seule voix avec les autres régions. »
« Une honte de laisser tomber la bio »

Mais face aux retours en arrière de l’État, il y a urgence à réagir, comme en témoignent, à la tribune de Terr’eau Bio, des producteurs autour de Sophie Tabary, présidente de Bio Hauts-de-France. L’occasion de lancer l’appel du 17 juin « Que vive la bio en France », comme une bouteille à la mer.
Pour Laurent Dumont, éleveur dans le Pas-de-Calais en bio depuis 2011 sur 110 hectares, de 50 vaches laitières Simmental, nourries à l’herbe et de volailles de chair, « c’est une honte de laisser tomber la bio » . L’éleveur a entamé une grève silencieuse de livraison du lait, en laissant les veaux sous leurs mères, et n’est plus collecté depuis six mois : « Ma fille veut s’installer, et je veux l’aider, mais je suis outré par ce qui se passe. Comment voulez-vous que les éleveurs, et notamment les jeunes, ne se déconvertissent pas ? Le lait produit avec des pesticides est payé 500 €/1 000 L, et le nôtre, tout à l’herbe, seulement 540 euros, il nous faut 600 €/1 000 L ! La viande bovine à 6,30 €/kg en conventionnel contre 5,60 €/kg en bio, et les aides bio aux éleveurs pour rémunérer les services rendus sont supprimées. Comment réussir à vivre de notre métier ? »
« Qui accepterait de perdre 40 % de son salaire ? »

Gonzague Proot, éleveur dans la Somme, n’a pas pu y échapper, faute de ne pas être suivi par sa banque : « Je suis obligé de déconvertir ma ferme, car depuis 2021, j’ai perdu 30 à 40 % de mon chiffre d’affaires, et j’avais investi, et je dois rembourser mes crédits. Qui accepterait de perdre 40 % de son salaire ? Personne, il n’y a que les paysans pour accepter ça ! » Né dans le conventionnel spécialisé en pommes de terre, comme il l’exprime lui-même, il ne pouvait plus continuer à utiliser des pesticides de synthèse. « Ça pue la mort, ça tue des gens. La Somme est le troisième département consommateur de pesticides-perturbateurs endocriniens. En bio, on coche toutes les cases, mais plus au niveau du revenu » , dénonce-t-il, très ému. Gonzague Proot a modifié son système en passant en bio, en optant pour la polyculture-élevage, avec des haies. « On s’implique et on n’est plus reconnu, car on ne sait pas se défendre, on n’a pas su communiquer sur nos atouts, on est les dindons de la farce ! Le conventionnel nous tue, et le bio nous asphyxie. »
« Nous continuons à nous battre »
Pour Nadou Masson, administratrice de la coopérative Biocer dédiée à la bio , « il est difficile de comprendre pourquoi cet acharnement contre cette filière, productrice de denrées saines, d’eau potable, de biodiversité et d’emplois » . Son combat, et celui des 250 producteurs de la coopérative, est de conserver cet outil 100 % bio, modernisé il y a sept ans, « pour répondre aux attentes des consommateurs et de l’État » . Malgré une collecte en baisse l’an dernier, liés aux aléas climatiques, des déconversions, des départs et le recul des ventes, « nous continuons à nous battre », plein d’espoirs dans la récolte 2025 : « On comptait, comme beaucoup d’autres structures sur la campagne de communication de l’Agence Bio, s’étalant sur trois ans, et sur le soutien de fonds de structuration de filières ». Malgré les difficultés, cette productrice de grandes cultures et de légumes reste plus que jamais déterminée, au moment de céder à son fils sa ferme située dans l’Oise, « car la bio est le seul modèle agricole qui a fait ses preuves pour répondre à tous les enjeux environnementaux ».
« On sème et on reste positifs »

Invitée à Terr’eau Bio en tant que vice-présidente de la chambre d’agriculture de l’Oise, représentant la bio à la chambre régionale, et siégeant au niveau national, Hélène Baudoin, éleveuse laitière bio installée avec son mari dans le Pays de Bray, à Villers-sur-Auchy, partage ces inquiétudes : « En phase de transmission de notre ferme à trois de nos quatre enfants – notre fierté –, on vient d’apprendre que Danone a décidé de ne plus nous collecter en 2026, ne souhaitant pas rémunérer nos services environnementaux alors qu’ils font la promotion des Deux Vaches, et de l’agriculture régénérative », dénonce-t-elle. Sa ferme a investi dans le séchage en grange, supprimant les déchets plastiques, produisant un lait de foin de qualité labellisée STG – spécialité traditionnelle garantie. Énumérant tous les bénéfices de la bio, la productrice s’interroge sur la façon de les valoriser : « Les collecteurs ne veulent pas payer suffisamment, c’est dur à encaisser pour les producteurs, admet-elle. Pourtant on travaille à améliorer les résultats techniques, nos bilans carbone. Les chambres d’agriculture sont très investies. On sème, on transfère nos solutions, on reste positifs… Merci à ceux qui continuent à nous soutenir ».
Une marge de progression sur les aires de captage
Parmi les financeurs de la bio, les agences de l’eau se mobilisent, avec des résultats souvent décevants. En Hauts-de-France, l’Agence de l’eau Artois-Picardie et celle de Seine-Normandie s’impliquent, notamment à travers le Plan Bio régional. « La transition écologique reste une priorité absolue, un modèle agricole moins consommateur en eau et en intrants, concède Pierre Branger, directeur des interventions à l’Agence de l’eau Artois-Picardie. Nous proposons une panoplie d’aides financières, notamment pour des accompagnements techniques et de la structuration des filières, des actions de communication. »
21 millions d’euros d’aides ont été engagés au cours du 11e programme 2019-2024 sur les trois départements concernés par les deux agences sans compter les MAEC, et le 12e programme 2025-2030 va continuer dans sa lancée. « Mais dans un contexte économique difficile, et malgré les aides, les conversions sont compliquées sur les zones de captage, car les débouchés bio manquent, analyse Pierre Branger. Nous sommes en train de faire l’état des lieux de la qualité de l’eau, qui se dégrade, une détérioration renforcée par le dérèglement climatique. Espérons que la future Pac puisse davantage soutenir la bio. » Selon les chiffres de l’Agence Bio, alors que 10,1 % de la SAU française est en bio en 2024, seules 9 % des aires de captage le sont. En Seine-Normandie, elles ne sont qu’à 5 % en bio, et en Artois-Picardie, qu’à 2 %. La marge de progression est énorme pour la bio, considérée comme la fabrique d’eau potable. Terr’eau Bio porte bien son nom !
Christine Rivry
En savoir plus : Bio Hauts-de-France