Au Medfel / Pour élargir la clientèle, « on secoue les concepts de la bio ! »

Le 29/04/2025 à 15:26 par La rédaction

Certains distributeurs de produits bio expérimentent des stratégies pour conquérir de nouveaux acheteurs. Et ce, souvent sans mettre l’argument bio en avant, mais en misant davantage sur le goût, la convivialité, la fraîcheur et l’accessibilité prix. Une conférence au Medfel 2025, à Perpignan, nous éclaire.

« En 2024, nous affichons une croissance de 4,5% , se réjouit Julien Tanter, directeur du réseau Naturalia. Et au premier trimestre 2025, nous notons une accélération encore plus importante tirée par +8% en moyenne de trafic, à la fin mars. » Même son de cloche chez BioFrais, enseigne de cinq magasins bio en Haute-Savoie : « Nous confirmons ce regain d’activité, et surtout depuis début mars, le pourcentage d’augmentation de fréquentation est à deux chiffres, indique Bertrand Chaveron, président de BioFrais. Le montant du panier moyen est également en hausse. » Le réseau prévoit des ouvertures de nouveaux magasins, notamment en dehors du département. Accord bio, regroupement de magasins bio indépendants, rassemble 239 commerces, très diversifiés, allant de 90 à 1 000 m 2 de surfaces. « Sur l’ensemble du réseau, à périmètre constant, nous sommes entre +4 et +8% de chiffre d’affaires en 2024 vs 2023, annonce Charly Lassalle, cofondateur d’Alentours, magasin de proximité à Montpellier, et membre d’Accord bio. Mais au sein de mon établissement, nous affichons même +33% de chiffre d’affaires et +36,6% en trafic en 2024 comparé à 2023. Le début 2025 est très dynamique, avec une croissance du panier moyen. » L’ouverture d’un second site en centre-ville est également d’actualité. En outre, le réseau Accord bio ambitionne de passer de 235 à 300 magasins indépendants d’ici deux ans. « Entre 2023 et 2024, nous sommes passés de 195 à 215, et 24 nouvelles boutiques ont rejoint le réseau depuis 2025. »

Plus de fun !

Alors les stratégies commerciales ont-elles changé ? Les conférenciers admettent que oui. « Après la crise de la bio, nous nous sommes recentrés sur deux piliers, voyant que l’argument bio ne suffisait plus : la santé et le plaisir, décrit Julien Tanter de Naturalia. Nous avons aussi voulu proposer des magasins plus ludiques, plus vivants, et valorisant les produits bruts. » L’enseigne développe alors le concept des fermes Naturalia, pour incarner une bio joyeuse et accessible : les fruits et légumes sont disposés dès l’entrée du magasin, le vrac est éclaté en rayons et le magasin pensé par instants de consommation, du petit-déjeuner à l’apéro, pour avoir tout à portée de main. « Le tout, dans une atmosphère colorée pour casser l’image un peu austère des magasins bio. Et aussi avec des prix bloqués sur certains produits, comme la banane. » Un premier magasin est déjà franchisé. « Les résultats sont très encourageants, avec +17% de croissance et un trafic clients de +15% à la fin du premier trimestre 2025, comparé à la fin d’année 2024. » Le réseau vise la transformation de 20 à 30 magasins par an, afin qu’à terme, les 200 boutiques Naturalia adoptent ce nouveau concept. Même réflexion pour BioFrais, ayant complètement revu son positionnement. « Nous assumons clairement de décomplexer la bio, affirme Bertrand Chaveron. Nous voulons d’abord montrer que nos produits sont bons, gourmands, frais, beaux. Notre objectif est d’avoir envie de croquer les rayons, et de donner l’impression d’être dans un marché de plein vent où l’on goûte, où l’ambiance est joyeuse. » Et ensuite, on dit que les produits sont bio. « Le plaisir et la joie passent en premier, avant le logo, c’est un repositionnement fort ! » Mise en avant des fruits et légumes, mobilier bas pour mieux identifier les produits, accompagnement du client poussé font partie du concept. « L’enjeu est de faire revenir le client pour la qualité de l’offre. » L’accessibilité prix, notamment des fruits et légumes, est aussi au cœur de la stratégie. « Il faut continuer de montrer que les fruits et légumes bio sont souvent à prix équivalents, voire moins chers que ceux en conventionnels. Et pour une qualité organoleptique bien supérieure ! »

L’offre bio du Medfel mise en avant à l’entrée du salon, via le stand d’Interbio Occitanie et le Marché bio. © F. Rose

Casser les codes souvent défendus

Quitte à faire bondir les défenseurs d’une bio la plus cohérente possible, BioFrais prend position et estime que c’est au consommateur de décider ses actes d’achats : « Nous ne nous interdisons pas des mangues venues en avion, puisqu’elles sont délicieuses ! ». Idem, si certains produits ne sont pas disponibles en bio, mais encadrés par d’autres cahiers des charges exigeants et d’excellente qualité organoleptique, BioFrais les propose exceptionnellement en rayons. « Nous ne voulons pas refuser cette offre à nos clients. » Beaufort, foie gras sont des exemples. L’enseigne autorise aussi les tomates produites sous serres chauffées (à base d’énergies renouvelables) pour privilégier l’origine France. « Et notre philosophie est d’inciter les clients cherchant les légumes d’été précocement, à acheter en bio, plutôt qu’en conventionnel et en origine étrangère. »

Fraiche découpe, élaboration de sushis, rayon marée sont d’autres leviers de l’enseigne pour conquérir une nouvelle clientèle.

Attirer par le frais et le local

« Le bio chez nous, c’est la condition sine qua non, mais nous ne communiquons pas dessus en priorité. D’ailleurs le mot bio n’est même pas dans notre nom, déclare Charly Lassalle du magasin de proximité Alentours. La bio doit apprendre à séduire à nouveau en se réinventant. » Le créneau : attirer les clients par le prix et le frais. « 30 % de nos produits sont des fruits et légumes, que nous achetons directement en local, sans intermédiaire, ce qui aide à réduire le prix. » En outre, les produits référencés sous la marque Elibio, équivalent d’une marque de distributeur pour les magasins indépendants, aide à avoir en rayons des produits d’appels, cassant l’image trop élitiste de la bio.

Livrer les fruits par colis

De son côté, Jean Pratx, arboriculteur du Roussillon aux Vergers bio de Véronique, élargit ses circuits de distribution en direct, via l’envoi de fruits en colis, directement au domicile du consommateur. « Nous passons par deux market places, une assurant des livraisons uniquement en France et l’autre en Europe. » Bonne visibilité, gestion simplifiée des commandes – services client, paiements, résolution des litiges liés aux transports –, Jean Pratx y voit de nombreux avantages. « Et surtout, nous sortons de la catégorie des calibres. La consigne est d’envoyer des fruits ayant du goût, quelle que soit leur taille ! Et nous offrons aux consommateurs l’histoire de la parcelle, le récit d’où viennent les fruits. » Néanmoins, la recherche d’un packaging mieux adapté au transport est nécessaire. « Les colis peuvent arriver abîmés. » Autre proposition dans cette veine de la part de l’entreprise : « le consommateur peut aussi adopter un arbre et recevoir sa récolte en plusieurs colis ». Ce nouveau débouché ne représente que 5% du chiffre d’affaires de la société, soit 200 000 € par an. « C’est plus chronophage aussi dans l’expédition, mais cela reste intéressant. Notamment pour assurer des débouchés pour des produits de niche, comme la grenade. » En espérant que toutes ces initiatives entraîneront une nouvelle clientèle, fidèle aux produits bio, mais aussi consciente, à terme, de l’intérêt de ce mode de production engagé.

 

Frédérique Rose