La bio au Salon de l’agriculture : soutien et ambitions sans effusions

Le 04/04/2024 à 8:36 par Christine RIVRY-FOURNIER


La 60e édition du Salon de l'agriculture restera mémorable, reflet d'un fort malaise agricole. Elle a été l'occasion pour les filières bio, également mobilisées, de découvrir le nouveau dispositif d'aides d'urgence et le plan Ambition Bio 2027. Et de continuer à défendre ses choix et ses valeurs.

« La bio n'est pas sous cloche, et elle est concernée par de nombreuses revendications, mais pas toutes, et dénonce notamment le recul des politiques environnementales, et d'Ecophyto », résume Jean Verdier, tout juste élu au poste de président de l'Agence Bio, en pleine tourmente du secteur. Le désintérêt des consommateurs pour la bio, même parfois en circuits courts, est perçu comme un déclassement, et laisse un goût amer chez les producteurs.

« Beaucoup de nous sont groguy par ce qui se passe actuellement, poursuit-il. La bio est pourtant en phase avec de nombreuses demandes, la souveraineté alimentaire, l'attractivité des jeunes pour l'installation et la transmission des exploitations, la protection des personnes et des sols..., rappelés dans les objectifs présidentiels. » Sur le salon, les professionnels bio restent persuadés que ces difficultés ne sont que passagères, que l'attractivité reviendra, que la protection de la nature et l'alimentation saine vont dans le sens de l'histoire. « En attendant, il faut passer ce cap difficile, et aider les exploitations et maillons des filières en difficultés », affirme Jean Verdier.

Annonce du plan d'urgence de 90 M

En plein cœur du hall 4, sur le stand du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ­ Masa ­, le 28 février, devant de nombreux représentants des filières bio attentifs, Marc Fesneau présente le nou- veau dispositif d'aide à l'agriculture bio rehaussé, passant à 90 M en 2024 (1). « L'objectif est d'apporter un soutien immédiat aux exploitations en bio ayant subi des pertes économiques importantes », assure-t-il.

Cette nouvelle aide vient compléter l'enveloppe de 104 M accordée en 2023. Validée début mars par la Commission européenne, elle va être mise en oeuvre par FranceAgriMer, avec une ouverture des guichets le 25 mars (2). Marc Fesneau s'engage pour une instruction « via un dispositif plus simple que jamais », et un paiement avant le 30 juin prochain. « Dans un contexte de difficultés conjoncturelles persistantes, ce nouveau soutien conséquent témoigne de l'engagement continu du ministère de l'Agriculture à maintenir le potentiel de production bio français », appuie t-il. « Mais il nous faudrait aussi l'aide de ceux de la transition écologique et de la santé », rétorquent les représentants bio à l'unisson.

Des critères plus inclusifs, mais un montant décevant

Pour les filières bio, si cette nouvelle annonce est une avancée très attendue, l'enveloppe est estimée hélas insuffisante : les pertes des exploitations en difficultés sur un an, selon les organisations bio, seraient de 210 M, en porcs, grandes cultures, légumes, etc. En réaction, on note de la déception, du fatalisme, de la colère aussi. Mais sans effusions. Les bio mènent une révolution plus silencieuse. « On est loin du compte, pour venir en aide aux plus impactés par la crise », déplore la Fnab. La fédération nationale des agriculteurs bio salue cependant la révision des critères pour élargir le nombre de fermes éligibles, notamment le plafonnement à l'exploitation et la fin des conditions cumulatives. « Mais avec un tel montant, on ne va pouvoir aider qu'environ 15 % des fermes, quand il aurait fallu en toucher le double », pointe son président Philippe Camburet. La Fnab réclame un fonds d'aide d'urgence abondé en fonction des besoins réels après instruction de tous les dossiers. Elle demande également de réaffecter le soutien prévu sur la conversion bio non dépensé aux agriculteurs bio déjà convertis, de prolonger le crédit d'impôt jusqu'à 2027 et de rehausser l'écorégime bio à 145 /ha/an, au lieu des 92 /ha/an actuels.

La bio a-t-elle encore un avenir en France ?

Lors de la conférence sur l'avenir de la bio organisée par la FNSEA sur son stand, Brice Guyau, en bio depuis 20 ans, affirme que oui : « Il faut s'en donner les moyens ». Tous attendent des messages clairs de soutien des pouvoirs publics, des aides fortes, la prise en charge des aménités positives de la bio, des outils de régulation du marché... « Le déclassement en conventionnel, ça fait mal au cœur », exprime-t-il. « En GMS, les volumes ont plus baissé que le chiffre d'affaires, ce n'est pas normal, pointe Joffrey Beaudot, en polyculture élevage bio. L'Observatoire des prix et marges doit faire son travail pour mieux comprendre. » « L'État doit conforter la bio, et répondre aux souhaits des jeunes de s'installer en bio », affirme Loïc Guines, éleveur laitier. « La contractualisation avec des prix planchers existe en bio, on l'a fait, mais le maillon distributeur s'est désengagé, déplore Jérôme Caillé. Il nous faut des aides au stockage. »

De g. à dr., Loïc Guines, président de la commission bio des Chambres d'agriculture de France, Brice Guyau, président de la commission bio de la FNSEA, Joffrey Beaudot, responsable bio des Jeunes Agriculteurs, Jérome Caillé, président de la commission bio de la Coopération Agricole. (© C.-RF)

Le nouveau programme Ambition Bio 2027

Très attendu par la profession, le nouveau programme Ambition Bio 2027 est déroulé dans la foulée par le ministre. « L'agriculture bio est identifiée comme une réponse majeure aux enjeux actuels, souligne-t-il en préambule. L'État s'engage à accompagner le secteur bio ­ amont et aval ­pour dépasser les défis structurels et conjoncturels, et renouer avec la forte croissance de l'offre et la demande. » L'ambition est de renforcer la cohérence des politiques publiques pour consolider et développer la bio, l'agriculture et aussi l'aquaculture. Même si atteindre 18 % de bio en 2027, inscrit dans le Plan national stratégique de la PAC, est réaffirmé, ce nouveau programme 2023-2027 n'indique aucun objectif chiffré : rien sur les conversions, notamment en termes de surfaces, et rien sur le financement. Il décline trois axes et 26 actions, avec « des moyens financiers issus de différents cadres et des indicateurs de pilotage complémentaires ».

26 actions concrètes

Le premier axe vise à stimuler la demande et miser sur les filières organisées, de l'amont à l'aval : mieux connaître les consommateurs et la pratique de la RHD, communiquer efficacement, atteindre les objectifs Egalim de 20 % de bio en RHD, avec la restauration d'État exemplaire sur ce point, développer la restauration commerciale, relancer la bio en grande distribution. Le second axe cherche à consolider et déployer des filières résilientes : mieux les connaître via des études, collecter des données plus fiables pour anticiper les crises par exemple, renforcer la bio dans les territoires, via les programmes alimentaires (PAT), adapter les outils de régulation de marché existants et conforter la contractualisation, moderniser les capacités de production et de transformation, en ajustant les critères du Fonds Avenir Bio doté de 18 M /an, favoriser l'installation et la transmission en bio, faciliter l'accès au foncier, conforter la formation bio.

Anticiper les évolutions à venir

L'axe 3 se focalise sur l'accompagnement des opérateurs face aux enjeux sociétaux et environnementaux : échanger sur les évolutions juridiques, économiques, scientifiques, « pour favoriser la compréhension et identifier les blocages », diffuser au maximum les résultats scientifiques, renforcer les synergies et les transferts avec le conventionnel, amplifier la recherche sur l'adaptation au changement climatique, consolider la confiance dans les intrants, réduire les risques de contamination. « Nous saluons l'action mise sur les enjeux des indemnisations, liés aussi bien aux pollutions fortuites de l'air et des sols », déclare la Fnab, un de ses combats depuis des années, via le programme Gerico.

(1) Voir vidéo sur biofil.fr
(2) Lire les critères d'éligibilité sur Franceagrimer.fr

Deux études très attendues : externalités et prospective à l'horizon 2040

« Objectiver les impacts de la bio et anticiper sont nécessaires, afin de mieux cibler les actions », affirme le ministère. Deux études sont attendues pour actualiser les connaissances sur la bio :

• Celle sur les externalités, lancée en 2016, est en train d'être mise à jour par l'Itab et l'Inrae, et prévue pour 2024.
• Celle sur la prospective du secteur bio à l'horizon 2040, lancée en mai 2023, par le Masa, France Agrimer et l'Agence Bio explore les différents scénarios envisageables pour l'avenir. Elle devrait sortir en juin 2024.