Interview d' Alain Delebecq, président de l’Itab

Le 22/05/2012 à 13:36 par La rédaction


Alain Delebecq
Alain Delebecq, président de l’Itab depuis 2007, est producteur maraîcher dans le Nord, et coopérateur à Norabio.

Alain Delebecq, président de l’Itab “La reconnaissance par la qualification” Quel bilan pour l’Itab en 30 ans de travail ?

Alain Delebecq : En 30 ans, depuis sa création, l’Itab a prouvé sa capacité à répondre aux besoins des producteurs et de la filière, en coordonnant l’expérimentation et la recherche, et en acquérant une expertise inégalée en agriculture biologique. L’Itab possède les connaissances et les compétences. Il emploie aujourd’hui 20 salariés, pour 16 équivalents temps-plein, pour un budget de 1,38 million d’euros. Son expertise est reconnue. Mais nous avons toujours l’un des plus modestes budgets des instituts agricoles ! Et une charge de travail exponentielle…

Aujourd’hui, comment doit se traduire cette reconnaissance ?

Lors de la mise en place, en 2007, d’un dispositif de qualification des instituts d’expérimentation agricoles, qui leur assure une autonomie d’action, l’Itab a juste été adossé à l’Acta, tête de réseau des instituts agricoles. Notre Institut de l’agriculture biologique n’a pas obtenu ce statut de qualification qui lui aurait permis d’accéder en direct à des appels à projets, lui permettant d’être tête de file de certains types de programmes de recherche et expérimentation.

Pourquoi ce statut n’est-il plus acceptable ?

L’adossement rend l’Itab dépendant car la dotation de base de fonctionnement, attribuée parla Directiongénérale de l’enseignement et la recherche (DGER), n’est pas reçue en propre. De plus, notre programme d’activité doit également être supervisé par l’Acta, qui n’a pas nécessairement la même vision que nous sur les priorités en agriculture biologique. Cette tutelle nous rend dépendant et sans aucune assurance de conserver à terme notre mission. Nous sommes sur un siège éjectable, qui était même à deux doigts d’être actionné fin 2011 pour nous faire fusionner avec d’autres structures ! Et ce, à notre insu ; c’est inadmissible.

Quelles sont les échéances pour l’Itab ?

En juin 2012 va avoir lieu la seconde vague de qualification, 5 ans après la première. Compte-tenu du contexte de développement historique de l’agriculture biologique que personne ne remet en cause, il est indispensable de reconsidérer le statut de l’Itab pour en faire un institut agricole à part entière. D’autant plus que notre travail est reconnu : l’audit du Conseil scientifique de l’agriculture biologique a confirmé la pertinence de nos actions ; les ministères nous sollicitent comme experts sur des dossiers pointus, comme celui des intrants ;la  Directiongénérale de l’alimentation (DGAL) fait appel à nos compétences pour les processus d’homologation… C’est pourquoi les autorités doivent accepter que nous déposions notre dossier de qualification, soit en tant qu’institut technique à part entière, soit en tant que tête de réseau, un statut qui conforterait l’agriculture biologique comme une alternative crédible.

Pourquoi est-ce si difficile ?

La stratégie de l’Acta va vers la fusion des instituts adossés, dans le but de faire des économies d’échelle et de donner une meilleure visibilité aux structures. Ce qui n’est pas prouvé. Mais le risque est surtout de diluer l’agriculture bio dans la grande machine du secteur agricole, et ainsi de lui faire perdre les spécificités de son approche globale, systémique et transversale qui font sa force. Obtenir cette qualification est le sésame pour enfin travailler sereinement, pour faire progresser l’agriculture biologique. Pour autant, nous ne souhaitons pas rester dans un ghetto, c’est pourquoi notre conseil d’administration est ouvert pour moitié aux structures conventionnelles. Mais on ne produit pas du tout le même travail avec la contrainte du zéro intrant chimique qu’en laissant un filet de protection au cas où…

Quelles sont vos relations avec l’Inra ?

Le travail effectué par certains chercheurs très motivés de l’Inra, en lien avec l’Itab qui les a soutenus, fait avancer la recherche en bio. Je pense entre autre au criblage variétal qui vient de déboucher sur l’inscription au catalogue officiel, pour la première fois, de deux variétés de blé sélectionnées spécialement pour être adaptées à la bio, et ceci notamment grâce à Bernard Rolland de l’Inra du Rheu. Le rôle de l’Itab a également été déterminant pour faire accepter la double évaluation (1). En revanche, les liens avec la hiérarchie de l’Inra sont encore à construire, malgré l’affichage : l’agriculture biologique étant toujours présentée comme un prototype, mais non une voie à part entière. Même si nous sommes considérés comme incontournables, il nous faut maintenant une vraie reconnaissance politique. D’où la nécessité d’obtenir cette qualification.

L’Itab dérange peut-être par son approche différente ?

C’est vrai que nous mettons en avant une dimension humaine et éthique en replaçant l’homme au centre du système agricole, agronomique, économique et social, alors qu’il avait disparu des modèles conventionnels d’intensification. Nous cultivons une vision positive de l’avenir. Pour continuer dans ce sens, il nous faut le soutien et la participation des producteurs qui doivent se réapproprier leur métier, et notamment exprimer leurs besoins en termes de recherche et d’expérimentation. Nous sommes aussi à l’écoute des opérateurs d’amont et d’aval, pour proposer et piloter des programmes les plus adaptés possibles aux besoins de la filière. Et également ouverts aux conventionnels qui sont le vivier de la bio de demain.

Propos recueillis par Christine Rivry-Fournier

(1) Lire Biofil n° 79